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Participative democracy and civil dialogue

EM Switzerland: Le droit d’initiative fonctionne comme un accélérateur de populisme

Qui sauvera la Suisse du populisme? Dans un nouvel essai, FrançoisCherix explique comment la paralysie et l’irresponsabilité collective ont peu à peu fragilisé nos institutions. Il appelle aussi le Parti socialiste à une mue profonde pour prendre le leadership du camp de la raison.

Interview de François Cherix, Co-Président du Nomes, dans L’Hebdo, 17.03.2016. Propos recueillis par Chantal Tauxe.

D’une plume ciselée, l’essayiste François Cherix s’attaque aux racines du populisme suisse. L’analyse est sans concession, l’auteur a le sens de la formule et il ne craint pas d’irriter les chantres de l’immobilisme qui ne voient pas l’urgence de réformer le pays. Mais il sait également tracer des perspectives d’avenir: il appelle notamment le Parti socialiste, dont il est membre, à s’extraire de la compromission avec la droite dure, et à changer de discours. Un livre vif, engagé et nécessaire.

Pourquoi vouloir sauver la Suisse du populisme? Le 28 février dernier, elle a démontré qu’elle savait développer des anticorps en rejetant l’initiative dite de mise en œuvre de l’UDC?

Le 28 février, la Suisse a eu un réflexe salutaire, je m’en réjouis, mais elle n’est pas tirée d’affaire: de nouvelles initiatives populistes dangereuses sont attendues, rien ne dit que la mobilisation des anticorps va se reproduire. Et l’UDC reste le premier parti de Suisse, avec une domination forte de la vie politique. Ses thèses populistes ont désormais passé dans l’ADN citoyen. Il faudra des réformes structurelles pour que la Suisse retrouve le chemin de la raison.

Vous livrez un diagnostic assez sombre de l’état de la Suisse. Vous parlez de «prison populiste». Pourtant, en comparaison internationale, elle se porte bien. De quoi souffre vraiment notre pays?

La Suisse est riche, c’est évident, mais cette prospérité pourrait s’évanouir si le pays reste figé. D’un autre côté, la Suisse est pauvre, sur les plans intellectuel et moral. Elle s’est enfermée dans une prison faite de peur de l’extérieur et de vénération des mythes passéistes. La Suisse souffre d’une crise aiguë de nationalisme à tendance paranoïaque, qui empêche toute remise en question, c’est cela le mal de notre pays.

Une de vos thèses est qu’en Suisse, le populisme est comme un poisson dans l’eau du fait de la démocratie directe. Pourquoi cette provocation?

Ce n’est pas une provocation, mais un constat. L’initiative populaire permet à n’importe quelle pulsion de se transformer en proposition constitutionnelle. Par cet instrument, le populisme trouve un moyen formidable d’attaquer les institutions et d’occuper la scène publique. En fait, ce n’est pas l’UDC qui a dévoyé le droit d’initiative, mais celui-ci qui permet à des mouvements de type UDC de prospérer. Une preuve de ce phénomène? On vote sur au moins douze grands sujets par année et le premier parti de Suisse continue d’affirmer que «le pouvoir est confisqué par les élites». Le droit d’initiative ne fonctionne donc plus comme une vanne de sécurité, mais comme un accélérateur du populisme.

Vous décrivez un Parti socialiste idéologisé, en décalage avec la mentalité profonde des Suisses. Pourquoi?

Le PS est dans une situation complexe: du fait du régime de concordance, il est au pouvoir, mais il l’exerce avec la droite et aux côtés de nationalistes de tendance dure. Il est dans une situation de compromission douloureuse. C’est difficile pour la gauche de cautionner un parti de type UDC. Dès lors, en compensation, il développe un discours très idéologique, souvent misérabiliste, qui est en désaccord avec la grammaire fondamentale des Suisses. Une de mes thèses centrales est de dire que le PS est trop suisse dans sa défense du système – le régime de concordance et la démocratie directe – et pas assez suisse dans son approche culturelle et affective des citoyens.

Vous dites que la Suisse est passée de l’indifférence à l’Europe à l’europhobie. Pourquoi?

Deux phénomènes ont joué un rôle central. Après le refus de l’Espace économique européen en 1992, la Suisse n’a pas vu que sa prospérité était fondée sur une forme d’intégration à froid, elle s’est crue hors du dispositif européen alors que, par un nombre grandissant d’accords bilatéraux, elle en devenait un membre passif. Simultanément, elle s’est inféodée aux idées nationalistes et populistes, par confort et par crainte d’affronter l’UDC. Il en est résulté une forme d’identité collective où être un bon Suisse, c’est mépriser l’Europe.

En Suisse romande aussi?

Cette posture y est clairement moins marquée, mais l’idée que notre succès collectif n’est dû qu’à nous-mêmes a aussi grandi chez les Suisses francophones.

Vous fustigez le double jeu de Micheline Calmy-Rey en matière de politique européenne. N’est-ce pas exagérer l’influence d’un seul conseiller fédéral?

Oui, j’utilise la séquence Micheline Calmy-Rey pour attirer l’attention sur une attitude commune aux conseillers fédéraux et à beaucoup d’autres acteurs politiques: on dit oui à des éléments de rapprochement avec l’Europe, mais pour mieux dire non à l’Union européenne en général. Le oui à des accords sectoriels a été présenté comme le prix à payer pour ne jamais adhérer à l’UE. Ce double jeu a certainement contribué à structurer l’opinion qui a accepté l’initiative «Contre l’immigration de masse», le 9 février 2014. A force de dire que l’objectif est de rester éloigné de l’UE, on a rendu acceptable une initiative isolationniste. Aujourd’hui d’ailleurs, Micheline Calmy-Rey a repris sa liberté de parole et a fait un coming out en faveur d’une intégration complète à l’UE. Ce n’est pas elle que je vise, mais cette tactique qui croit pouvoir évacuer la question européenne par un double discours.

Cette stratégie du double discours est-elle toujours à l’œuvre?

Oui, éviter le fond de la question reste l’attitude dominante. D’un chef de département fédéral à l’autre, le trend n’a pas changé.

Vous appelez le PS à se libérer de concepts flous et de dialectiques interminables, tout en comptant sur lui pour sauver la Suisse du populisme, c’est un peu paradoxal.

Je place beaucoup d’espoirs dans mon parti. Je pense qu’il a les moyens de fédérer le camp de la raison dont la Suisse a besoin et que j’appelle de mes vœux. Pour devenir ce pôle fédérateur, le PS doit renoncer à ses jeux tactiques, qui rendent parfois son action et son discours incompréhensibles.

Exemples?

Dans le dossier européen, les mesures d’accompagnement ont tantôt été agitées comme un moyen de pression pour obtenir des avancées sociales, tantôt présentées comme une protection nécessaire face à l’Union. Cela ne facilite pas la compréhension de la position socialiste sur le destin de la Suisse. Le pire serait que le PS devienne une mesure d’accompagnement d’une démocratie populiste. J’aimerais qu’il ose formuler un projet global, qui redonne du sens au pays.

Et quel serait-il, ce projet global qui redonne un sens au pays?

Oser dire que nous sommes Suisses et Européens, en même temps, jamais l’un sans l’autre. Oser proposer des réformes structurelles sur la démocratie directe. Oser empoigner le problème de la gouvernance. Et, par ailleurs, continuer à défendre une Suisse de la solidarité et des équilibres, ce que le PS fait très bien.

Comment expliquez-vous que le PS se soit pareillement laissé piéger par les postures de l’UDC?

Tous les partis ont été piégés par l’UDC! Dans la mesure où ils se posent en uniques défenseurs du peuple, les mouvements populistes bénéficient d’une sorte de prime à la pureté politique. Ils sont difficiles à contrer. La gauche doit faire face à un écueil supplémentaire: les populistes décrivent un peuple misérable, souffrant, opprimé par les élites, alors que la gauche a vocation à défendre les défavorisés. Il existe là un risque de confusion à la fois dans l’opinion et sur la manière de s’adresser à elle.

Face au populisme, diriez-vous que la classe politique a manqué de courage ou d’idées?

De courage, à mon avis, certainement parce que la prospérité économique n’incite pas à l’introspection. Tant que les affaires vont bien, il semble possible de tolérer des discours infâmes sur la place publique. On les désapprouve, mais on les laisse se répandre. Nous sommes parvenus au point où ces discours sont si dominants qu’ils menacent la prospérité via des initiatives qui finiront par être destructrices.

A vous lire, on se demande si vous voulez réformer la démocratie directe ou l’abolir…

Très clairement, je souhaite la réformer, j’y suis attaché, car je pense qu’elle pourrait être un contre-pouvoir très intéressant, si on modifiait son exercice. Premièrement, nous devons poser des garde-fous pour que le droit d’initiative ne permette pas d’anéantir les droits fondamentaux ou la démocratie ellemême. Deuxièmement, il faut donner à la démocratie directe une nouvelle légitimité par l’augmentation du nombre des signatures permettant de déclencher une votation.

Sur ce point, vous rejoignez le think tank Avenir Suisse?

Oui, sur le constat que ce système du XIXe siècle a besoin d’une mise à jour pour redevenir performant.

Le populisme ne ravage pas que la Suisse. Des pistes pour le contenir, lesquelles sont exportables à l’échelle européenne?

Le populisme intervient dans des périodes troublées et de perte des repères. Pour le combattre, il importe de dire la vérité au citoyen. Il est fondamental de lui présenter les enjeux de manière claire, pour neutraliser ses angoisses. La deuxième attitude possible consiste à distinguer en permanence ce qui relève des fantasmes, qui sont latents dans nos sociétés en mutation, de ce qui relève des problèmes que l’on peut traiter par des mesures politiques. Enfin, il convient de traiter ces problèmes par des politiques adéquates et de manière visible. Malheureusement, dans les séquences populistes, la tentation est grande d’en faire un traitement affectif, qui finit par créer une surenchère populiste dans une fausse empathie à l’égard des citoyens.

Qui, parmi les politiciens actuels, agit de la sorte?

Matteo Renzi et Angela Merkel. C’est ce que l’on a de mieux en Europe actuellement.

Vos thèses sont assez provocantes, redoutez-vous de ne pas être compris?

Oui, bien sûr. C’est un livre exigeant dans la mesure où il aborde des champs de réflexion que l’opinion n’aime pas explorer. Je crains moins de ne pas être compris par les Suisses – qui sont intelligents – que de voir mes propos déformés pour évacuer des questions dérangeantes.

Le rôle d’un intellectuel en Suisse est-il de prendre des coups? Pourquoi persistez-vous à vouloir déranger?

La Suisse sait admirablement penser des produits, mais elle déteste produire de la pensée. Le rôle des intellectuels est de perturber ce mécanisme. C’est un rôle difficile, qui comporte des risques. Je pense que c’est ma manière personnelle de servir mes contemporains et mon pays.

François Cherix: «Qui sauvera la Suisse du populisme?», Editions Slatkine, 164 pages.

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